ECOLE DE LA NUIT #3
SÉMINAIRE : Décadence, dépression, désillusion ?
Intervenants : Dany-Robert Dufour - Evelyne Pieiller
De 10h à 16h le samedi et de 10h à 13h le dimanche suivi d’une discussion autour d’un verre
Entrée libre dans la limite des places disponibles / Inscription obligatoire à contact@belmachine.org ou au 06 51 14 75 02
L'ECOLE DE LA NUIT
A la fin du XVIe siècle, à Londres, un groupe qui s’est nommé L’Ecole de la Nuit—School of Night, se réunit régulièrement, et clandestinement. C’est un groupe de stars: des auteurs de théâtre, des savants, des aventuriers chéris de la Reine. Ils ont le goût de la marge, du risque, du dépassement du sens commun. Il y en a parmi eux qui cherchent la gloire (Christopher Marlowe), d’autres qui cherchent à fonder des utopies dans le Nouveau Monde (Walter Raleigh), tous aiment le plaisir: mais ce n’est pas ce qui les réunit. Ce qui les réunit, c’est l’audace de la pensée. Ils veulent penser le plus librement possible, le plus loin possible, pour se débarrasser des vieux empêchements qui brident l’imagination et font passer la conformité pour l’ordre éternel des choses. Ils s’appuient sur les découvertes des savants, et ces découvertes sont dangereuses: en particulier, celle qui affirme que l’univers est infini. Ce n’est pas ce que dit la Bible, ce n’est pas ce que disent les autorités. Ce savoir-là est interdit. C’est pourquoi ils se font très discrets. Mais actifs. L’un d’eux invente le théâtre anglais, un autre fait connaître la circulation du sang, un autre encore propage l’idée qu’il existe des galaxies par milliers…
Il n’y a aucun danger évidemment aujourd’hui à se réunir pour chercher à se donner les moyens de penser librement. D’autant qu’on a assez tendance à considérer qu’on y arrive à peu près correctement tout seul. Et que de surcroît, le monde étant ce qu’il est, c’est plutôt de solutions concrètes qu’on a besoin, notamment quand on pratique un art. C’est parfaitement exact. Sauf que, pour élaborer des solutions concrètes, il est assez utile de connaître les… empêchements. Ce à quoi contribue toute réflexion précise sur ses conditions d’exercice : pourquoi, pour qui, comment? Afin d’ouvrir un chemin qui mènerait des conditions réelles, à celles qu’on peut espérer. Evelyne Pieiller
LE SEMINAIRE
1/Le sentiment de décadence
Je n'essaierai pas dans cet exposé de dire si oui ou non, nous (notre époque, notre culture, notre région du monde…) sommes entrés en décadence. Sans être un nietzschéen impénitent, je crois cependant utile de suivre la recommandation que le philosophe donne dans les fragments de cette œuvre abandonnée, La Volonté de puissance. Nietzsche mettait en effet en garde contre cette notion de décadence en disant qu'elle est très ambivalente puisqu'elle renvoie à des processus par lesquels les forces s'affaiblissent et qu'elle renvoie à des processus par lesquels les forces peuvent se régénérer.
En revanche, je m'interrogerai sur le sentiment de décadence qui affecte aujourd'hui une grande part des populations européennes et notamment françaises. En d'autres termes, il n'est pas sûr qu'il y ait plus (ou moins) de décadence aujourd'hui qu'hier, mais ce qui est sûr, c'est que le sentiment de décadence est à son comble. J'essaierai donc de donner quelques éléments expliquant ce sentiment en explorant quelques mutations ayant touché le cœur de notre culture.
Dany-Robert Dufour
Dany-Robert Dufour est philosophe, anciennement professeur des universités. Il a été directeur de programme au Collège international de philosophie.Il collabore régulièrement à des activités artistiques (littérature, musique, théâtre).Il a publié quinze livres, notamment sur les formes de subjectivation et de socialisation. Il est engagé depuis quinze ans dans une anthropologie critique du libéralisme. Derniers livres parus : Le divin Marché (Folio essai Gallimard), La Cité perverse (Folio essai Gallimard), Le délire occidental (LLL), Pléonexie : [Dict:"Vouloir posséder toujours plus"], Le Bord de l'eau.
2/ Décadence, dépression, désillusion?
A la fin du XIXe siècle, il y eut des artistes qui se proclamèrent décadents. Sur fonds d’échecs de tentatives révolutionnaires, de transformation de la société, d’interrogations sur la liberté réelle de l’individu, d’attentats anarchistes et de déconsidération du personnel politique, ils pratiquèrent la dérision, la recherche de formes “dissidentes”, pour affirmer leur refus de l’ordre établi et de ses valeurs: Zutistes, Incohérents, Huysmans, Laforgue, Satie etc. Que signifia cette “décadence”? Qu’ont-ils détruit, qu’ont-ils inventé?
Vers la fin du XXe siècle, un courant de pensée affirma qu’il n’était plus possible de croire au progrès, au pouvoir de la raison, à une quelconque hiérarchie des valeurs: célébrant la déchéance plus que la décadence de l’Art majuscule, le “post-modernisme” eut une influence considérable tant sur les avant-gardes que sur les décideurs. Place au relativisme esthétique, au fragment, au décloisonnement, fin de la “création” comme achèvement, fin de la recherche de sens, au profit de la sensation... Que signifie cette mutation de la définition de l’art, du rôle de l’artiste, sur fonds de questionnement du sens de l’histoire collective?
Evelyne Pieiller
Evelyne Pieiller est membre de la rédaction du Monde Diplomatique, elle a collaboré régulièrement avec : Le Magazine Littéraire, la Quinzaine Littéraire, L’Insensé. Derniers textes publiés : L’Almanach des contrariés (Gallimard), Iggy (La maison d’à côté), Dick, le zappeur de mondes, (La Quinzaine Littéraire), Le rock expliqué aux ados (Le Diable Vauvert).
LE PROJET
L’Ecole de la Nuit est un projet de recherche mené par l’association Belmachine. Il s’appuie sur la conviction que l’acte de création, tant de concepts que d’oeuvres, peut contribuer à élaborer un avenir plus humaniste dans les nécessaires transitions et transformations sociales, économiques et politiques à venir.
L’Ecole de la Nuit vise à réunir un groupe d’individus travaillant dans la création artistique et scientifique autour d'un partage de savoirs et de l'élaboration des conditions d'une autonomie tant intellectuelle que matérielle.
S’inspirant du principe actif historique des salons, clubs, équipes, d’artistes et d’intellectuels, l’Ecole de la Nuit fait le pari que la mise en débat critique permet d’engager un processus de transformation émancipatrice.
Il a pu être initié avec le soutien d’Arcadi Île-de-France / Fonds de soutien à l’initiative et à la recherche et du fonds de dotation Agnès B.